Un des obstacles principal à la libre expression des émotions est l’anticipation des conséquences.
Typiquement, par exemple, je ressens de la colère, mais j’ai peur des conflits éventuels que son expression pourrait entraîner, ou bien j’anticipe que l’on me rejette ou que l’on ne m’aime plus si je manifeste mon agressivité, ou encore, je ne veux pas blesser l’autre… alors je refoule ma colère, je l’intériorise ou la retourne contre moi même et si je fais cela depuis l’enfance je peux même ne plus ressentir la colère car son refoulement est devenu un réflexe qui se manifeste instantanément (Ce raisonnement est valable avec toutes sortes d’émotions).
Autrement dit l’un des obstacle majeur qui se dresse entre moi et mes émotions est la représentation à laquelle, ou auxquelles j’associe cette émotion et son expression ou son passage à l’acte. Ainsi certaines personnes pensent : « Si j’écoute ma tristesse, je vais pleurer et si l’on me voit on va me juger comme un faible… si j’écoute ma sensation de dé-pression je vais tomber dans un trou sans fond dont je risque de ne jamais me relever, je ne pourrais plus affronter les difficultés de la vie… si j’écoute ma colère, je vais rougir ou me mettre à trembler et je peux finir par exploser, on me considérera comme quelqu’un qui n’a aucune maitrise etc…
Une fois que l’on a associé intérieurement le bébé et le bain, on a vite fait de jeter l’un avec l’autre. Ainsi en rejetant les conséquences éventuelles supposées liées à l’expression ou la mise en acte d’une émotion, on rejette en même temps sans faire le tri, l’émotion elle même. Pourquoi fait on cela? Parce-que dans notre modèle de société on ne sait plus séparer le simple ressenti de l’émotion, d’avec:
1) les représentations négatives ou dévalorisées de sa simple expression dans le corps (larmes, tremblements, abattement, rougeurs, agitations, sueurs etc..) ou de son expression dans la parole (« je me sens en colère », « je sens de la tristesse » etc..)
2) son passage dans un acte souvent dirigé vers quelqu’un (crier sur, taper sur, insulter quelqu’un, projeter ou rendre l’autre responsable de notre passage émotionnel etc…), ainsi que les jugements moraux qui en découlent (ce n’est pas bien, c’est mal).
Et si je pouvais exprimer librement dans mon corps et mes mots les émotions profondes qui m’habitent sans que je ne sois obligé d’en « faire » quoi que ce soi ?
Et si je m’apercevais du même coup, qu’exprimer « sans faire » entraîne de vraies actions intérieures et surtout un vrai entraînement à la gestion des émotions ?
C’est ainsi, que dans l’entraînement des sportifs de hauts niveaux on travaille par exemple la visualisation et la représentation imaginaire d’une future performance sportive pour préparer leurs corps et leurs circuits neuronaux. Sans « rien faire » juste en imaginant la situation, ils sont pourtant en train de préparer certains des circuits cérébraux impliqués dans la pratique physique réelle dont on s’est aperçu qu’ils sont les même que lors de la pratique imaginée. La préparation est du même ordre pour l’apprentissage des émotions, libérer et partager ses émotions hors de toute situation réelle, dans la sécurité de l’espace thérapeutique, sans d’autres buts que de vivre ses émotions en dehors des moments de réalités ou ils ont eu lieu la première fois, est l’entrainement dont vous avez besoin pour apprivoiser vos émotions.
Et si en plus de n’être obligé de rien (en faire) je pouvais exprimer mes sentiments en toute sécurité affective?
Et si non seulement je n’ai rien à en faire de spécial, mais qu’en plus je peux séparer mes émotions de mes jugements portés sur les actes éventuels (blesser quelqu’un par exemple..). C’est ce qui doit être possible en thérapie, car chez le psychothérapeute, loin des interactions réelles avec le travail, les amours ou la famille, il ne peut plus y avoir de conséquences réelles immédiates chez les personnes concernées par nos émotions. Et sans conséquences, sans passage à l’acte possible, sans retours des personnes concernées, les jugements négatifs que l’on craint ou que l’on porte sur soi même, non plus de fondements. Il ne reste que l’émotion pure ressentie dans son corps. Or, l’émotion seule, par exemple
« je me sens en colère », n’a plus rien de négatif dans les actes, si elle ne se transforme pas en « je casse la figure à cette personne », « j’insulte cette personne »ou « je la blâme directement pour ma situation ». Et de même, si je peux vivre ma tristesse dans le partage avec un psychothérapeute qui ne me juge pas et qui au contraire accueille la beauté de mon émotion de l’instant, alors j’ai plus de chance encore d’apprivoiser tranquillement mes propres jugements négatifs, et petit à petit plus de possibilités encore d’arriver à les dissociés de mon vécu émotionnel pour m’autoriser à les vivre plus pleinement jusqu’au bout.