Se rencontrer sans se posséder, se rapprocher sans s'envahir (par Jacques Salomé)

Nathalie Neumann Par Le 15/10/2017 0

Dans Prendre soin de soi

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Nous ne parlons pas seulement avec des mots, nous nous rencontrons avec des regards, des gestes ou des touchers. Ce qui va donner à la relation tout son sens, c’est à la fois l’intentionnalité (la main qui donne une caresse ou une gifle est la même, simplement différence d’intention et d’intensité !) et le mouvement intérieur qui nous porte vers l’autre.

Il est des gestes, des touchers qui nous agressent ou nous font violences, même si l’autre ou l’entourage proche qui les déposent sur nous, n’en sont pas toujours conscients. Car c’est celui qui reçoit le message qui lui donne un sens. Un même geste peut retentir, résonner sur notre histoire dans un sens positif ou dans un sens négatif et catastrophique. Il nous appartient donc de nous respecter et pour cela d’apprendre à nous positionner le plus rapidement et le plus clairement possible face à celui ou celle que nous pouvons vivre comme agressant au travers de ses conduites ou de ses actes envers nous.

Se rencontrer sans se posséder, se rapprocher sans s’envahir :

La vie sociale comme la vie intime est constamment traversée de gestes qui font intrusion dans notre intimité. Gestes dont certains peuvent être sans retentissement grave et relativisés par un échange et d’autres qui au contraire nous bousculent ou nous déstabilisent, et qui peuvent nous blesser ou réveiller d’anciennes blessures, qui vont saigner en nous et nous faire une violence inouïe.

Il ne suffit pas, pour faire face à des gestes toxiques ou nocifs, de nous éloigner, de nous placer hors de portée ou de mettre l’autre en accusation, encore faut -il apprendre à mettre en place un ensemble d’attitudes et de comportements qui vont nous permettre de nous réconcilier avec l’image de nous mêmes qui a été atteinte, de retrouver confiance en nos ressources, de se réapproprier l’amour et l’estime de soi qui peuvent avoir été maltraités par des comportements qui n’étaient pas bons pour notre corps, notre vulnérabilité ou notre sensibilité.

Au delà de paroles, de comportements ou d’attitudes qui peuvent nous agresser, c’est surtout par un toucher violent ou inadapté, qu’il soit intentionnel ou le résultat d’une maladresse, que nous sommes parfois le plus atteints, le plus violemment interpellés, car il faut savoir qu’un geste vécu par celui qui le reçoit comme agressif ou déstabilisant peut réveiller l’une ou l’autre des blessures archaïques qui sont inscrites dans la mémoire insondable et toujours en éveil du corps. Il s’agit le plus souvent de blessures liées à la trahison, l’injustice, l’humiliation ou l’impuissance.

Si notre corps est un formidable émetteurs de signaux positifs (ou négatifs) il est aussi une immenses surface de projection sur laquelle vont se diriger et se jeter des signaux qui seront vécus comme positifs et d’autres qui seront enregistrés, par celui qui les reçoit à ce moment là, comme puissamment négatifs.

Quelque soit le degré d’intimité, l’intensité des sentiments partagés avec quelqu’un nous avons besoin de trouver la bonne distance face à lui. Une distance qui corresponde à notre besoin de sécurité mais aussi à notre liberté d’être. Une distance juste, bienveillante, ni intrusive, ni oppressive, quand la présence de l’autre, ses attentions, ses gestes vont nous confirmer l’attentivité, le respect et l’écoute qu’il peut avoir à notre égard. Mais il peut se trouver que cette distance soit transgressée et que nous nous sentons insécurisé ou violenté.

« Chaque fois que mon mari me prenait dans ses bras, j’avais la sensation d’être étouffée, qu’une partie de moi ne m’appartenait plus, n’existait plus. Il ne donnait pas (malgré ce qu’il en disait), il prenait. Je recevais ces gestes comme une imposition, une dépossession à partir de laquelle je n’avais plus rien à offrir… »

« Quand ma mère me serrait contre elle, en disant “mon amour, mon amour”, je sentais que je devenais sa chose, que je devais lui appartenir et cela m’angoissait beaucoup. Si je m’éloignais je sentais que je luis faisais de la peine et surtout que je risquais de perdre son amour à jamais… Aujourd’hui encore un contact physique trop proche me panique… »

« Lors de mon dernier passage à l’hôpital, je recevais une piqûre tous les jours, à la même heure, mais par le fait des congés et des horaires, trois infirmières différentes se sont succédées durant tout mon séjour. Avec une, je ne sentais absolument rien, elle établissait un contact avec moi, par un mot, un sourire et d’un geste vif semblable à une caresse légère enfonçait l’aiguille sans me faire aucun mal. Avec une autre, c’était l’inverse, son contact était plus brutal, impersonnel, elle me découvrait en arrachant le drap d’un geste violent et je sentais la douleur de l’aiguille et du liquide qui pénétrait mon ventre… Avec la troisième c’était plus aléatoire. Une fois je ne sentais rien et le lendemain c’était douloureux. Je n’ai pas réussi durant tout mon séjour à trouver une parole, un geste pour modifier le comportement des deux infirmières qui m’ont fait mal ! »

« J’aurais tant voulu dire à mon père que la gifle qu’il me donnait “pour mon bien” chaque fois que je lui présentais mon carnet scolaire, ne me faisait pas de bien, m’humiliait et m’infantilisait… »

« Je n’aimais pas quand le professeur de piano, s’appuyait trop contre moi et posait sa main sur ma cuisse pendant que je faisais mes exercices. A cause de lui, j’ai détesté le piano durant des années. Il a fallu longtemps pour que je me réconcilie avec la musique… »

Il ne s’agit que de quelques exemples parmi les situations innombrables vécues par des enfants ou des adultes, qui se sont vus imposer un toucher qui n’était pas bon pour nous.

J’enseigne depuis des années qu’il est toujours possible de “restituer” sur un mode symbolique (à l’aide d’un objet, d’un dessin, d’une photo) avec un mot d’accompagnement, une violence reçue. Violence d’un geste qu’il n’est pas souhaitable de garder en soi, car elle entretient et peut même nourrir le foyer d’une blessure psychique, morale ou physique.

Je prétends que ces “restitutions symboliques” sont très libératoires d’énergie, qu’elles favorisent une restauration de la vivance de notre vie et redynamisent l’amour, la confiance et l’estime de soi.

Une restitution symbolique s’appuie sur le ressenti de celui qui s’est senti agressé ou violenté par un geste, un passage à l’acte sur son corps, quelque soit l’intentionnalité de celui qui à déposé ce geste. C’est celui qui reçoit le message qui lui donne un sens.

Certains comportements (abus sexuels, maltraitances physiques à répétitions) inscrivent des blessures quasi inguérissables si elles ne font pas l’objet d’une mise en mots ou d’une médiation réparatrice par un symbole.

Ces démarches de restauration, de réconciliation avec soi même me paraissent d’autant plus nécessaires, que certaines violences primaires, engendrent des comportements défensifs et réactionnels qui sont autant d’auto violences que l’on se fait à soi même. Auto violence par auto privation (repli sur soi, enfermement dans la solitude) pour se protéger, par une mise en maux récurrentes (équivalent à un langage pour tenter de dire l’indicible) tels des maux de ventre, des infections vaginales, des blocages sexuels, auto violence encore dans le surgissement de somatisations plus graves (cancer, kystes ou autres affections profondes…).

Quand notre corps absorbe par mégarde ou par erreur un met, un produit toxique, il se défend aussitôt en le régurgitant, en le “rendant” en vomissant, en évacuant ce qui n’a pas été bon pour lui. Mais quand il s’agit de gestes toxiques, malsains, nous acceptons malheureusement, de les garder longtemps en nous, enfermés dans le silence, la culpabilité ou le ressentiment.

J’invite chacun à se respecter au plus prés de ses ressentis, à s’affirmer, à se positionner en ne gardant pas en lui des gestes, des attouchements, des paroles mêmes qui ont été enregistrés comme violents ou agressants par son corps ou son esprit. Ainsi trouver la bonne distance est activité sans cesse remise en question non seulement suivant la nature des gestes reçus mais aussi en fonction de leur retentissement sur notre histoire.

Restaurer la paix dans son corps est une démarche qui peut comporter plusieurs supports.

Il y a bien sûr toutes les démarches centrées sur la psychothérapie, les groupes d’éveil, mais aussi les stages de formation portant sur le changement. Toutes ces démarches nous invitent à un travail d’archéologie intime pour nous permettre de nous réconcilier avec notre passé et surtout à achever les situations inachevées ou panser les blessures de notre enfance.

Pour respecter son corps l’évidence de la nécessité d’un travail sur soi, passera nécessairement par des approches corporelles dont l’éventail est aujourd’hui largement connu, allant du yoga, à la méditation, au tai chi…

par Jacques Salomé


Source : Se rencontrer sans se posséder, se rapprocher sans s’envahir : j-salome.com/assets/relation_a_autre-06.pdf

 
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